Lors de mon dernier voyage d’enseignement en Europe, j’ai entendu une conversation entre deux élèves, discussion concernant les différences majeures dans l’enseignement du Shiatsu entre les différentes écoles, ainsi que la supériorité de certaines d’entre elles comparativement à d’autres. J’y apprenais sans grande surprise que, dans certaines écoles, l’étude de la MTC y était grandement présente, alors que, dans d’autres, c’était l’étude des Katas et l’utilisation des tsubos qui prédominaient, et ceci sans grand intérêt pour l’utilisation des théories ou principes de la MTC. Enfin, certaines d’entre elles semblaient fortement s’appuyer sur l’utilisation du ressenti et de l’intuition comme principales sources d’assise de leurs enseignements.

Je crois que chacune de ces écoles par leurs spécificités, leurs compétences et leurs forces, possède  une partie de la formule à l’origine de l’efficacité du Shiatsu. Ces divergences d’orientations sont naturelles. En effet, ne peut-on pas observer que même dans un style de Shiatsu spécifique, différents courants de pensées et d’applications voient le jour au fil du temps?

Ainsi, chaque maître et enseignant apporte à sa façon sa pierre personnelle à l’édifice de l’enseignement du Shiatsu et ceci pour des raisons toutes aussi variées les unes que les autres. Que ce soit le besoin d’efficacité clinique, la morphologie personnelle de l’enseignant, une sensibilité particulière, l’étude et intégration de techniques de massage autre que le Shiatsu, une adaptation aux besoins et demandes de la clientèle le consultant ou encore des connaissances théoriques nouvelles devenant accessibles. Ohashi Sensei en est un bon exemple. À la  suite de l’influence de Masunaga, il développa, par sa recherche personnelle, son propre style, l’Ohashiatsu, style ayant une résonance avec l’approche de Masunaga, mais étant distinctement propre à Senseï Ohashi et sa sensibilité.

Personnellement je crois qu’il n’y a pas d’école meilleure qu’une autre. Je m’explique. L’important selon moi est la compétence et l’expérience de l’enseignant ou l’enseignante, son ouverture, sa réflexion sur son art, son expérience clinique et bien sûr ses compétences pédagogiques. Toutes ces caractéristiques prédominent grandement sur l’appartenance à telles ou telles écoles ou institutions. C’est l’enseignant qui, par son attitude et ses compétences, fait en sorte qu’une école se distingue de ses consœurs.  

De façon encore plus spécifique, et indépendamment de l’école concernée ou de l’enseignant(e) en charge, il est primordial, selon moi, pour que l’enseignement du Shiatsu soit efficace, que la « structure évolutive » du cerveau humain soit respectée dans la façon dont l’enseignement du Shiatsu sera proposé et transmis.  

La théorie évolutive du cerveau ou théorie des 3 cerveaux 

La théorie des trois cerveaux est une description imagée des différentes étapes plausibles de l’évolution de notre cerveau. Selon cette théorie, trois cerveaux distincts seraient apparus successivement au cours de l’évolution de l’espèce humaine : le cerveau  instinctif (reptilien) en premier, le cerveau émotionnel (cerveau limbique) en second et le cerveau logique (le néocortex) en troisième. 

Introduit en 1969 par Paul MacLean, cette vision de l’organisation du cerveau est une représentation parfois controversée, mais encore aujourd’hui plusieurs spécialistes, neurobiologistes et psychologues conservent un intérêt pour cette théorie inspirante. En effet, cette vision du cerveau  nous  permet de nous faire facilement une idée schématisée de la structure et de l’organisation du cerveau humain.  

Explorons brièvement chacun de ces cerveaux dans l’ordre de leur apparition. 

Le plus primitif, le cerveau reptilien, que l’on retrouve justement chez les reptiles mais aussi chez les poissons et les oiseaux, est situé à la base de notre cerveau (tronc cérébral). Il est vieux de 500 à 600 millions d’années. Sa fonction première est la survie et la préservation de notre organisme grâce à un répertoire primordial mais limité de comportements réflexes et instinctifs permettant la satisfaction de nos besoins de base: nous nourrir, nous accoupler et nous reproduire, définir notre territoire et nous protéger des prédateurs. Le cerveau reptilien fait de nous les descendants directs des tyrannosaures. Ceci avait fait dire à Carl Gustav Jung : « Nous traînons derrière nous la queue d’un saurien. » 

Ce cerveau axé sur le fameux ici et maintenant réagit toujours de la même façon à un stimulus défini. Son mode d’action est donc similaire à un réflexe et son éducation se fait par la répétition, l’utilisation de rituels ou d’une pratique soutenue dans le temps. Le cerveau reptilien utilise les organes des sens comme la vue, le toucher et surtout l’odorat pour entrer en communication avec son environnement. Cet aspect est primordial, car c’est par les attributs de ce cerveau que nous pourrons percevoir globalement la condition énergétique de nos clients. Nous reviendrons sur cet aspect… Physiologiquement, ce cerveau permet le maintien de l’homéostasie corporelle, c’est-à-dire l’équilibre dynamique de notre organisme (température du corps, niveau de sucre dans le sang, pression sanguine).  

Voir blogues sur l’homéostasie : 

http://stephanevien.com/limportance-du-principe-dhomeostasie-dans-la-pratique-du-shiatsu/

http://stephanevien.com/lhomeostasie-ii/

Impact du cerveau reptilien sur la pratique du Shiatsu  

Le cerveau reptilien est en lien avec le contrôle moteur, la capacité d’attention et les réactions pré conditionnées (réflexes). C’est grâce à ce cerveau que nous pouvons faire machinalement le parcours de tel ou tel méridien, sans nous soucier de nous rappeler le trajet exact de celui-ci. C’est aussi grâce à lui que nous pouvons, après quelques années de pratique du Shiatsu, répondre  instinctivement aux conditions Kyo et Jitsu que nous percevons le long du trajet des méridiens. Par sa capacité d’attention innée (observation), le cerveau reptilien nous permet de percevoir les subtilités de la condition énergétique des méridiens sans que nous ayons besoin de faire l’effort conscient d’être à l’écoute (concentration). Cette capacité d’attention (observation) ressemble beaucoup à celle du chien qui même somnolent entendra un bruit lointain et lèvera la tête pour voir ce qui en est. Cette vigilance permanente est la marque de commerce du cerveau reptilien.            

Le cerveau reptilien a besoin, pour fonctionner et accroître ses habiletés de structure, de rituels et de formes. Les clés pour le développement optimal de ses capacités sont l’imitation et la répétition. Les écoles de Shiatsu où l’étude des Katas et des applications de base sont mises de l’avant permettent l’intégration d’habitudes et d’usages qui seront les bases matérielles de l’efficacité future de ses praticiens et praticiennes. 

Techniquement, sans le support du cerveau reptilien qui harmonise l’utilisation du corps, nos gestes seraient lourdauds et maladroits. Je crois que c’est en premier lieu par l’apprentissage du corps (travail moteur) que les bases du Shiatsu devraient être abordées, ceci afin de développer un savoir corporel solide. Ce travail du corps, souvent laborieux aux premiers abords, est pourtant essentiel pour éduquer notre cerveau reptilien.  

Afin d’utiliser toutes les notions présentes dans le Shiatsu, il est important de pouvoir s’appuyer sur des bases théoriques et pratiques solides, qui sécuriseront notre cerveau reptilien. Je crois qu’un manque de pratique des bases (Katas, formes de base) est souvent la cause d’une évolution technique  plus lente par la suite.  

En classe, je prends souvent l’exemple des gammes en musique: la pratique et l’intégration des Katas permettent, comme pour la pratique des gammes sur un instrument, de développer coordination, agilité et souplesse, gagner de l’aisance et donner vie et relief à votre pratique. C’est cet aspect répétitif de l’étude du Shiatsu qui permet d’entrainer le cerveau reptilien qui, par la suite, pourra réagir adéquatement durant une rencontre en shiatsu. 

Cerveau reptilien,  Zen et présence «animale» 

Comme mentionné précédemment, l’utilisation d’un cerveau reptilien bien entrainé permet de développer une grande capacité à percevoir spontanément la condition énergétique présente sous nos mains lors du travail sur les méridiens. Cette  capacité de perception animale se  rapproche énormément de la notion du ici et maintenant propre au Zen. À noter que la pratique de la méditation Zen permet justement de calmer le néocortex et le cerveau limbique pour ainsi avoir accès plus aisément au potentiel perceptif du cerveau primitif.  

L’enseignement au niveau de ce cerveau se fait par transmission horizontale, par le corps, par le non-verbal. L’expérience de l’enseignant passe par le contact, le partage du geste juste et rejoint une forme de transmission du savoir que les anciens appelaient l’enseignement de mon Hara à ton Hara.  

Au-delà de la matière enseignée, il y a échanges aux niveaux psychique, affectif et énergétique. Ce type d’échanges peut être très nourrissant et peut permettre une compréhension qui dépasse l’échange verbal et les explications. 

Un second cerveau qui a du cœur   

Le second cerveau (système limbique) qui occupe la zone centrale du cerveau est fortement relié aux émotions et au plaisir. Plus récent que le reptilien (quelque 60 millions d’années), il est apparu avec les premiers mammifères. Siège de l’activité émotive, de l’imagination, de la motivation et de la création des souvenirs, de la mémoire à long terme, il permet une organisation et une expression plus raffinée des comportements.  

Son activité rend possible la mise en place de liens affectifs positifs, d’une vie sociale satisfaisante et l’apprentissage de comportements sociaux appropriés (intégration sociale). À la lumière de ces caractéristiques du cerveau limbique, il devient clair que l’apprentissage idéal du Shiatsu, qui est un mode de communication par le toucher, devrait assurément passer par le plaisir et un lien affectif positif entre les élèves eux-mêmes et entre l’enseignant(e) et ses élèves.

Lors de mes formations et stages, pour faire appel à ce cerveau émotif, je mets beaucoup l’emphase sur le plaisir, l’influence positive du groupe et le fait que notre travail doit « goûter bon » et que nous devons le plus possible nous amuser en étudiant et en pratiquant le Shiatsu. Cette attitude pédagogique est essentielle, car c’est le cerveau limbique qui reçoit et filtre les informations et enseignements transmis durant les heures de classe et choisit selon qu’elles sont agréables ou non de les faire parvenir ou non au néocortex, ceci afin d’être stockés convenablement dans la mémoire à long terme. Pas de plaisir = pas de mémorisation ferme, c’est aussi simple que ça! Si ce que j’apprends n’a pas d’écho en moi, n’éveille pas de plaisir ou d’intérêt, je perds mon temps!  

I Shin den Shin  

C’est à ce niveau cérébral que l’enseignement se fait de cœur à cœur dans le respect de ce que chacun est et de ce que chacun apporte à la formation. C’est un niveau de transmission qui encore une fois dépasse l’intellect et l’usage des mots  

Le cerveau limbique est le cerveau des apprentissages heureux, c’est-à-dire d’un enseignement dans le respect de ses besoins et de ses inspirations. Cette forme d’enseignement soutient  l’apprenti- sage en nous, c’est tout dire! C’est pour cette raison que l’étude du shiatsu ne peut se faire par les livres; cette forme d’étude permet certes une compréhension intellectuelle, mais manque l’aspect relationnel et la chaleur humaine. I Shin den Shin est une connexion qui au contraire se produit dans l’échange, l’humour et le plaisir.   

Je crois d’ailleurs que les anciens avaient compris cette dimension du cœur, car l’étude de la MTC utilisait traditionnellement le monde des symboles, de l’image et de la poésie afin de s’adresser précisément à l’humanité en nous et indirectement à notre cerveau limbique. L’étude de ces mêmes théories et concepts, sans cette sensibilité et cette touche poétique, s’adresse davantage au néocortex et à l’intellect, notre prochain sujet.  

Le néocortex, le petit dernier mais non le moindre!  

Enfin le néocortex structure beaucoup plus volumineuse que les deux autres, il constitue l’écorce cérébrale (la fameuse matière grise), vient compléter ce processus évolutif en dotant l’être humain d’une capacité très sophistiquée de traitement des informations et stimuli provenant du monde extérieur.  

Ce bond évolutif a permis au cerveau humain l’acquisition de connaissances nouvelles, la capacité d’anticiper et de planifier ses actions. Il a procuré la capacité de raisonnement et d’abstraction, l’intellect, l’analyse et la synthèse des données et connaissances. C’est également cette partie du cerveau qui permet l’encadrement adéquat des émotions : on parle ici de l’intelligence émotionnelle. Ce cerveau permet à son propriétaire de prendre du recul face à son univers émotif.

Un aspect remarquable de ce cerveau est le développement du langage et de la parole, qui ont permis en tant qu’espèce le développement de liens sociaux très élaborés, la transmission des connaissances de génération en génération et surtout un outil de contrôle interne de la pensée, de la réflexion et des comportements. 

 « De par sa nature même, la pensée fragmente. » Krishnamurti 

Le néocortex agit donc un peu à l’image d’un ordinateur et est le siège du « Moi » et de la réflexion. Son adage est   »je pense donc je suis ».  Sans l’intervention des deux premiers cerveaux, et sous l’emprise uniquement de notre matière grise, nous serions un peu à l’image d’un robot sans âme ni émotion. Heureusement, le néocortex est influencé par les deux autres cerveaux et partage également avec eux ses découvertes et le fruit de ses réflexions.   

Le néocortex n’est pas très réactif, c’est le M. Spock de nos méninges! Le néocortex s’applique toujours à prendre les bonnes décisions en respectant la logique et en privilégiant le raisonnement. Sous l’effet de stress et de besoin de réaction rapide, ce cerveau peut manquer de réactivité et sembler passif. Le néocortex, guidé par son esprit rationnel, a besoin de preuves; il a donc besoin que les choses qui lui sont soumises soient observables et cohérentes. Il se fie rarement à l’intuition, domaine des deux autres cerveaux.  

Comme mentionné précédemment, c’est par ce cerveau que je comprends la matière qui m’est présentée en classe, c’est également par son intervention que je peux faire des liens entre les notions de MTC  étudiées au préalable et la condition actuelle de mon client. Le seul hic, c’est que ce cerveau veut toujours avoir raison et a une peur bleue de se tromper. Ça vous dit quelque chose?  Est-ce que je suis sur le bon point? Est-ce que c’est un manque de Yin ou de Yang? Est-ce que ce méridien est Kyo ou Jitsu?  

Il est donc important de se donner le droit à l’erreur et de voir l’étude du Shiatsu comme un processus qui demande du temps et un investissement personnel important. 

Le néocortex, qui est guidé par son esprit rationnel, a besoin pour être totalement à l’aise dans son intervention clinique de théorie, de preuves, de confirmations, de faits observables. Alors, quand on travaille avec l’énergie, c’est mal barré! C’est pourquoi je crois que beaucoup d’élèves se sécurisent  à outrance avec des théories et des recettes toutes faites. C’est sécurisant pour notre néocortex mais, à la longue, ça peut produire une vision tunnel qui empêche une compréhension plus large de la réalité qui nous est présentée en bureau.  

Comprenez-moi bien. Je n’ai rien contre l’étude et la théorie! C’est nécessaire et très soutenant mais, une fois devant la réalité clinique, ces aspects doivent être au service de la pratique et non pas être la seule référence. Comme disait  Abraham Maslow : «Tout ressemble à un clou  pour qui ne possède qu’un marteau.»  

Cette observation est aussi vraie pour l’utilisation à outrance de l’intuition ou de l’aspect émotif (psycho-pop), lors de la rencontre thérapeutique en Shiatsu.   

Dans l’étude et l’utilisation du Shiatsu, l’importance du respect de ces trois cerveaux est de la plus grande importance. 

L’apprentissage du Shiatsu se fait selon moi beaucoup mieux lorsque les besoins fondamentaux de chacun des cerveaux sont respectés, car la synergie des trois cerveaux est plus importante que la fonction individuelle de chacun. 

En résumé, pour que l’apprentissage du shiatsu se fasse de manière optimale, notre cerveau reptilien a besoin de se sentir en sécurité (structure, confiance), notre cerveau limbique doit éprouver un minimum de plaisir (motivation, sentiment d’appartenance), pour que finalement le néocortex (traitement de l’information) puisse traiter convenablement les concepts et données qui lui sont soumis. Un « apprentis-sage » ne peut se faire véritablement que si l’on tient compte des besoins propres aux cerveaux reptilien et limbique. Rien ne peut être enregistré en profondeur par le néocortex s’il y a désaccord entre lui et ses deux associés. Bref, le respect de cette synergie est primordial.  

À la lumière des notions exposées, il est clair que le rôle premier de l’enseignement, durant les heures de classe, consiste d’abord à gérer le contexte d’apprentissage sur le plan relationnel en vue de sécuriser le cerveau reptilien et d’apporter du même coup au système limbique un sentiment de bien-être, de collaboration et de plaisir (de joie). Il est également important que l’enseignant puisse fournir à l’étudiant une gamme d’informations stimulantes et enrichissantes afin que le néocortex de l’étudiant(e) puisse  être «  allumé  » par l’information transmise.  

Je crois donc que ce qui prime dans l’étude du Shiatsu ce n’est pas l’école ou l’institution en tant que telle, mais bien davantage l’enseignant (te) qui partage sa passion et l’amour de son art. C’est l’enseignant qui nous donne le goût de poursuivre notre propre exploration du Shiatsu.  

 VOS TÉMOIGNAGES

Avez-vous connu un enseignant ou une enseignante passionné et supportant? Quelqu’un qui, par son attitude et son travail, a été une motivation à poursuivre votre pratique du Shiatsu?  

Venez nous raconter votre expérience dans les commentaires ci-dessous.