Après les stages de Namur et Bruxelles, ma compagne et moi avons décidé de passer quelques jours à Bruges pour prendre des vacances bien méritées. Le surnom de cette ville pittoresque avait piqué notre curiosité, je dois l’avouer! Il faut dire que la « Petite Venise du Nord » est la ville la plus touristique de la Belgique, et pour cause : cette cité médiévale a su conserver, au fils du temps, sa splendeur et son charme. Son architecture gothique et baroque rappelle, encore aujourd’hui, la richesse et l’opulence que cette ville connut à la Renaissance. Sans oublier ses canaux et l’atmosphère romantique qui s’en dégage.

Le lendemain de notre arrivée, j’ai invité ma « blonde » (comme on dit au Québec!) à faire une visite guidée en barque. Nous étions une bonne trentaine de personnes à bord, entassées les unes sur les autres. Il y avait des enfants qui sautillaient sur place, des personnes âgées manifestement mal à l’aise sur leur siège en bois trop durs, des amateurs de photographie qui s’en donnaient à cœur joie et, bien sûr, quelques fervents utilisateurs de la perche à égoportrait (selfie)!

J’étais malgré tout bien décidé à faire une balade agréable, même si j’avais parfois du mal à suivre les explications de notre guide! Soudainement, son timbre de voix s’est animé. « Fidel est à la fenêtre ce matin », nous a-t-il dit, tout heureux! (Fidel est un vieux labrador qui dort une grande partie de ses journées, bien installé à la traverse basse d’une fenêtre donnant sur le canal.) « Je vous présente Fidel, a-t-il poursuivi. Le chien le plus populaire de la ville, c’est presque une célébrité! »

À ces mots, le célèbre toutou a levé légèrement la tête vers nous et ouvert un œil, comme pour valider notre présence et faire acte de courtoisie. Geste qui fut immédiatement suivi par un retour à son activité initiale : le farniente! Ce chien donnait l’impression d’avoir toujours été là, de faire partie intégrante du canal… C’était très particulier! L’apparition de ce labrador eut un effet immédiat sur les passagers. Comme si le temps s’était arrêté. Sa présence joviale et apaisante avait touché tout le monde. Nous étions sous son charme!

 

Cette rencontre imprévue aurait pu être anodine, mais elle a été pour moi l’un des moments forts de mes vacances en Belgique. Mon face à face avec ce vieux chien placide m’a réjoui et captivé, sans que je comprenne trop pourquoi. En y réfléchissant, j’ai compris qu’il manifestait tout naturellement deux attitudes importantes que j’essaie constamment d’intégrer dans ma pratique du shiatsu : le mushotoku (lâcher-prise) et le zanshin (vigilance sans tension).

Le mot japonais « mushotoku » signifie être sans but, sans objectif. C’est-à-dire faire preuve de lâcher-prise sans chercher à atteindre de résultat particulier. Fidel, bien installé sur le bord de sa fenêtre, était l’illustration même du mushotoku. Il était lui-même… et fidèle à lui-même! Il était à sa place, sans objectif autre que de vivre sa vie de chien. Rien de plus. C’est pourquoi il a eu un tel effet bénéfique sur les passagers, moi y compris. Son attitude était une invitation à faire preuve d’ouverture et à vivre le moment présent.

Toutefois, même si Fidel était calme et décontracté, il n’en demeurait pas moins vigilant et attentif. À preuve, il a réagi immédiatement lorsque notre guide a prononcé son nom. Bref, il était conscient de son environnement, mais dans un état de « réceptivité relaxe ». C’est cette attitude qu’on appelle « zanshin », en japonais. Il s’agit d’un état de vigilance décontractée à ce qui se passe en nous et dans notre environnement. Ce vieux labrador en a vu d’autres, mais, malgré les années, il a su conserver cette capacité de présence et d’attention qui fait de lui un être accessible et touchant.

Ces deux qualités – le mushotoku et le zanshin – sont les bases d’une attitude juste dans notre pratique du shiatsu. Ce sont ces qualités que j’ai perçues instinctivement dans l’attitude zen de Fidel. Une attitude qui appelait une communication directe et spontanée. Je ne saurais dire combien de personnes Fidel a touchées de cette façon. Mais une chose est sûre, je conserverai longtemps l’image de ce vieux chien pantouflard qui m’a rappelé que l’essentiel est d’être soi-même.